Quand une organisation a-t-elle pigé ?

Cher Gemba coach, J’ai formé des équipes au Lean, d’abord de manière intensive, puis par un coaching plus...

Quand une organisation a-t-elle pigé ?

Cher Gemba coach, J’ai formé des équipes au Lean, d’abord de manière intensive, puis par un coaching plus épisodique. Comment puis-je savoir s’ils ont « pigé » ? Quels sont les changements de comportement que je dois guetter ? Comment sais-je qu’ils sont autonomes ?

C’est une question très intéressante car les gens ne « pigent » pas tous au même moment, ni dans le même ordre. D’autre part, nous sommes souvent très impressionnés par ce qu’ils disent, et sommes déçus par ce qu’ils font en réalité. Parmi les meilleurs managers Lean que je connaisse, nombreux sont du genre calme, peu expansifs ou clairs dans leurs positions, mais ils arrivent à réaliser des transformations spectaculaires. Alors que recherchons-nous ?

Le premier signe que les mentalités sont en train de changer est quand une équipe, sous l’impulsion du team leader ou du manager, prend la responsabilité d’un aspect de sa performance. Idéalement, la satisfaction client, mais cet aspect est souvent difficile à appréhender au début car les équipes sont en général séparées du vrai client par de nombreuses couches de management ou des barrières dans l’organisation. Le lead time est une performance plus accessible. Quand une équipe s’engage à livrer à l’heure tout le temps et commence à le pister, il y a des chances qu’elle ait commence à prendre la responsabilité du résultat, et pas seulement des moyens – en d’autres termes, de piloter le système, au lieu d’être piloté par lui. Dans l’industrie, cela se résume à mettre sous contrôle des chariots et des camions. Dans les services, il s’agit de planifier l’heure exacte de livraison. Vous le constaterez quand ils créeront un moyen visuel de pister ces caractéristiques et qu’ils discuteront quotidiennement de la performance.

Deux autres signes

Le deuxième signe est qu’ils vont sur le gemba pour voir ce qui s’est passé. Au début, les gens ont tendance à discuter des problèmes autour d’un tableau dans une salle de réunion, et parfois tout d’un coup, une petite lumière s’allume et ils vont se rendre compte du problème sur place, pour avoir une discussion concrète avec la personne qui a rencontré la difficulté. C’est un moment important, car c’est typiquement à ce moment qu’ils basculent de « qui ? » vers « pourquoi ? ». Sur le Gemba, il est assez évident que les problèmes sont rarement le fait d’une personne ne faisant pas bien son boulot. On découvre en général une combinaison de Main d’œuvre (formation insuffisante), Matière (composants ou informations manquants), Machine (équipements en écart par rapport aux standards) ou Méthode (personne n’a jamais regardé dans le détail comment le travail doit être fait). Si l’équipe mène avec rigueur ses investigations sur le Gemba, elle découvrira que chaque personne présente a sa part dans la genèse du problème, et chacun va évoluer de la recherche de causes managériales, culturelles ou comportementales vers un débat plus technique – un progrès énorme ! Un troisième signe est quand le manager comprend l’intérêt d’un débat quotidien sur la performance. A mesure que les problèmes sont examinés un à un sur le Gemba, le manager et son équipe prennent la mesure de l’énorme impact des retouches et de comment le « pas bon du premier coup » à n’importe quel poste de travail génère non seulement des pertes de productivité, mais aussi beaucoup de frustrations. Quand ils en sont là, ils en viennent généralement à investir davantage dans leur pilotage visuel. (le VRAI pilotage visuel, qui signifie pouvoir distinguer en un clin d’œil si la situation est normale ou anormale, pas des graphes Powerpoint affichés sur des murs). Ils commencent également à faire tout un tas de petites choses de manière que le résultat de chaque tâche soit bon du premier coup. C’est un sacré défi car dans la plupart des entreprises que je connais, il y a des budgets pour des investissements très chers, mais les frais de fonctionnements sont toujours réduits à la portion congrue. Les managers préfèrent toujours dépenser plusieurs centaines de milliers d’€ sur une machine neuve plutôt que d’acheter un pot de peinture pour un rafraîchissement. Quand vous verrez que leurs zones de travail ont meilleur aspect, vous saurez qu’ils ont commencé à faire place nette au sens Lean du terme, et à prendre soin de leur poste de travail. Cette étape apparemment anodine est loin d’être évidente, et représente une importante marque de progrès.

Les signes donnés par le PDG

Il est probable que vous leur ayez enseigné les méthodes Kaizen. Comment sait-on qu’ils les ont captées ? Un indice clair est quand un team leader propose spontanément le prochain sujet Kaizen quand le précédent est clos. Ces pratiques sont rares et précieuses, et doivent être encouragées en permanence. Le second indice est quand les sujets de Kaizen deviennent de plus en plus petits, pas de plus en plus vastes, et quand les équipes Kaizen commencent à discuter des standards – comment les établir, les partager, les faire évoluer. Sur le Gemba, le Kaizen doit inciter à créer du travail standardisé, et la pratique du travail standardisé doit à son tour mettre en lumière la prochaine activité Kaizen. Quand ce moteur à deux temps commence à tourner, c’est un signe clair que quelque-chose est en train de changer dans la manière dont les gens considèrent leur propre travail. Ils commencent à en en devenir propriétaires et ont le sentiment qu’ils peuvent analyser et changer leurs propres méthodes de travail pour améliorer leur performance. Leurs idées et leur expérience comptent. Ils ne se contentent alors plus d’expliquer qu’ils ne peuvent rien faire pour telle ou telle raison hors de leur champ d’action immédiat, mais s’engagent plutôt sur l’amélioration de leur propre performance.

Bien évidemment, il est très improbable que cela arrive sans que les niveaux hiérarchiques supérieurs n’aient démontré par leur capacité à mener du Kaizen transverse que des problèmes de plus grande envergure pouvaient également être résolus ainsi. Oui, il est possible de demander au service informatique un changement dans le système sans être débouté. On peut certainement travailler avec le service commercial pour comprendre ce dont le client a vraiment besoin, au lieu d’écouter ce que nous dit le système, etc… Ce qui nous amène à ce que JE recherche. En tout premier lieu, il s’agit de la capacité du PDG à élargir sa vision, à évoluer de la recherche de suggestions vers un questionnement de haut niveau sur les enjeux de l’activité. Mettre en œuvre une suggestion donnée démontre une capacité d’écoute : regarde, j’ai fait ce que tu disais. Pas d’interprétation, de reformulation, de transformation de l’idée initiale. Comprendre comment cette suggestion s’intègre dans le cadre plus large des enjeux de l’activité montre clairement sa capacité à penser « Lean ». La capacité d’agir ainsi s’accompagne en général d’une bonne dose de pilotage visuel, de Kaizen et de Dojos pour maîtriser les standards. Et là, on y est. Je cherche à voir la capacité des PDG à mettre les suggestions en perspective avec les enjeux de l’activité, et à appuyer leur mise en œuvre locale, tout en traitant avec leurs propres équipes de sujets de Kaizen de portée plus large (les suggestions révèlent en général des problèmes bien plus vastes, qui doivent être adressés à un niveau de management supérieur).

Je ne suis pas sûr qu’il existe des personnes complètement autonomes dans le Lean – en tout cas, moi, j’ai besoin de mes senseis pour me pousser à sortir des routines de ma zone de confort. Cela dit, l’autonomie est révélée sur le Gemba quand la performance s’améliore et qu’à chaque fois que vous retournez au même endroit, quelque-chose a changé : l’équipe a endossé la responsabilité et pris possession de son propre travail. Et quand vous regardez comment ils s’y prennent, vous pouvez observer que chaque leader local traite des sujets Kaizen de plus en plus petits, afin de rendre le travail routinier plus facile pour les employés (mouvements des pieds, des mains et des yeux), pour ensuite se poser la question : qu’est-ce qui vient après ? C’est le flux des idées Kaizen qui fait qu’une organisation Lean est meilleure que ses concurrents. Le flux des idées Kaizen signifie également que les standards (c’est-à-dire la manière dont est réalisé le travail normal) sont compris est maîtrisés par chacun. En fait, c’est cela que je recherche vraiment : le flux d’idées Kaizen et la manière dont ce flux est dirigé vers l’amélioration de la performance, en impliquant tout le monde tout le temps pour une meilleure observation, de meilleures discussions, et une plus grande maîtrise du travail de chacun.

Traduction par François Lopez

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