Il y a deux changements radicaux dans un parcours professionnel et ce sont même des changements transformationnels, avec un avant et un après.
Le premier est le passage de contributeur individuel à manager. Le manager doit obtenir des résultats du travail des autres. La langue française a construit le mot « management » de « ménagement », avoir la responsabilité de quelque chose dont on n’est pas propriétaire. Ou de « mesnager », tenir en main les rênes d’un cheval. Le mot budget aussi, de « bougette » un petit sac servant de bourse. Dans la même veine, notre plus grande contribution à la théorie du management est sans doute celle d’Henri Fayol qui propose l’organisation en silos fonctionnels et définit l’administration comme l’acte de planifier, organiser, commander, coordonner et contrôler.
Dans son sens le plus courant, le manager doit définir les objectifs, déterminer la méthode pour les atteindre, répartir le travail, contrôler la mise en œuvre et gérer tous les problèmes de personnes ou de moyens qui peuvent survenir. Les managers optimisent les activités et dirigent les hommes. Ils donnent des instructions, motivent, rémunèrent ou réprimandent. Ils sont la cheville ouvrière du principe de subordination et représentent l’autorité de l’employeur dans sa légitimité à donner des ordres, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de leurs subordonnés.
Manager fait l’hypothèse d’une situation stable dans laquelle les modes de travail peuvent être définis et figés de manière à être contrôlés, pour chercher toujours plus d’efficacité. Nous avons tous grandi à l’aune du management, qui nous paraît naturel au travail, même si mal adapté à des contextes mouvementés ou incertains. On a tous eu un manager et la plupart d’entre nous ont eu, tôt ou tard, à manager une équipe ou un projet.
Le second changement radical est celui qui amène à devenir un leader. Le leader a une tout autre mission : il ou elle doit amener un collectif à changer. Le leadership tient à la capacité de formuler et partager un horizon et d’amener les personnes à changer leurs modes de fonctionnements afin de l’atteindre. Un des atouts essentiels d’un leader est la capacité à développer des relations solides tant au sein de son organisation qu’à l’extérieur ; et de susciter de nouvelles formes de collaboration, afin d’animer des grands groupes et de les amener à de réelles transformations en entrainant les autres à le ou la suivre.
Ces deux marches ne sont pas nécessairement séquentielles, certains devenant des leaders sans expérience de management, mais dans la plupart des organisations le manager doit devenir leader lorsqu’il ou elle devient un dirigeant. Pour beaucoup, le passage de contributeur individuel à manager est déjà difficile, car les relations que l’on a avec ses collègues changent du tout au tout. Le pas pour devenir leader est tout aussi raide, car les tenants du leadership sont totalement différents de ceux du management.
Pour atteindre un but collectif, il faut savoir manier ces deux modes. Sans leadership, le management devient vite étroit et coercitif, suscitant méfiance, résistance et mauvaise volonté. Inversement, le leader se doit parfois de prendre le contrôle direct de certaines situations délicates et de les manager en questionnant la méthode employée et re-répartissant les tâches, particulièrement en situation de crise. Réussir en tant que dirigeant requiert de sans cesse chercher l’équilibre délicat entre management et leadership, particulièrement dans des organisations bien établies.
Puis, certains découvrent le lean. Le raisonnement lean ne part pas de buts arbitraires mais pose la question des challenges occasionnés par les évolutions du contexte, du marché, de la société. Le lean aborde les challenges par une volonté de développer chaque personne, afin de lui donner plus d’autonomie dans une situation donnée, et de faire collaborer les individus entre eux pour qu’ils puissent co-construire de nouvelles réponses à des environnements mouvants.
Le langage du lean n’est ni celui de l’obéissance aux instructions au cœur du management, ni celui de l’adhésion consentie au commandement comme dans le leadership. C’est un langage de la résolution de problèmes. Le lean vise à créer un consensus sur la nature du problème par de la présence sur le terrain, de la visualisation des activités et une exploration systématique des difficultés concrètes que chacun rencontre dans le courant de son travail. La pensée lean repose sur la notion de kaizen : plutôt que de chercher d’emblée des grandes solutions qui résoudront l’ensemble du problème, il s’agit d’encourager chaque personne à améliorer marginalement ses activités, partager ces améliorations et apprendre de petit pas en petit pas.
Cette approche lean peut paraître lente ou mièvre face aux grandes questions qui se posent, mais l’expérience montre que d’encourager chacun à l’apprentissage dans son domaine et au partage entre les domaines mène à des transformations raisonnables bien plus vite que le management et ses solutions qui marchent rarement, ou le leadership et ses révolutions trop souvent si onéreuses au final.
Bien entendu, réussir une transformation, que ce soit au niveau d’une équipe, d’une entreprise ou d’une nation, requiert ces trois perspectives. Pour trouver cet équilibre idéal il faut commencer par reconnaître qu’il s’agit là de perspectives distinctes. Trop souvent, les praticiens essayent de les amalgamer. Lean et management se traduisent en excellence opérationnelle. Lean et leadership en agilité, entreprise libérée ou équipes autonomes. Pour se donner les moyens de réussir en maîtrisant les trois, il faut commencer par les étudier séparément, en tant que telles.
Concrètement, il s’agit d’apprendre à manier trois conversations distinctes :
La première vient assez spontanément : quels sont les objectifs et peuvent-ils être clarifiés ? Quelle est la méthode employée et comment le travail est-il réparti ? Qui performe et qui est à la traîne ? Comment gérer les disparités et de quels moyens supplémentaires avons-nous besoin ?
La deuxième est bien moins familière : quel est l’horizon visé et quels sont les obstacles ? Qui tient les clés du franchissement de ces obstacles et comment créer les conditions de la collaboration ? Comment convaincre chacun de vous suivre dans les changements nécessaires et d’y investir leurs efforts ?
La troisième est souvent déroutante : quels sont les grands challenges et comment les formuler de sorte que tout le monde les comprenne ? Comment visualiser les problèmes sur le terrain et découper des grands problèmes en petits problèmes plus abordables ? Que faut-il apprendre par la pratique et quelles idées fausses doivent être révélées et confrontées ? Comment établir un plan de développement personnel pour chaque personne, tant du point de vue technique que de celui de la coordination pour améliorer chaque activité ?
Il est certes possible d’espérer qu’une seule de ces conversations suffise – c’est ce que font bon nombre de managers. Mais est-il possible de s’ouvrir l’esprit et d’aborder les situations en prenant tour à tour ces trois perspectives et en regardant où cela mène ? Entre manager des contextes stables alors que tout bouge, ou leader des disruptions alors que les équipes ont besoin de stabilité, il est possible d’aller chercher une troisième voie, au point d’équilibre entre management, leadership et lean.
Michael Ballé
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