Le business model de nos dirigeants est simple : un, il faut trouver des produits ou services qui margent le plus possible, au moins au-dessus de 20 % (cela peut être une crêpe, la marge est la différence entre ce qu’on fait payer et ce qu’on met dedans, ou une police d’assurance) ; deux, il faut s’organiser comme on peut pour délivrer ce produit ou service tant bien que mal, avec un coût acceptable pour faire le business ; trois, il faut trouver des opportunités ponctuelles de faire baisser les coûts.
Vous les connaissez tous. Ils arrivent dans leur poste de direction avec un projet « disruptif » sur lequel il faut investir et dont ils comptent obtenir un retour sur investissement spectaculaire. Puis ils réorganisent, en s’assurant que les nouvelles lignes hiérarchiques sont claires, que personne ne se parle sans passer par eux et que leurs instructions sont bien relayées. Ils vous demandent de changer de prestataire pour en prendre un moins cher, ou embauchent un cost-killer pour tenir le budget. Bref.
L’avantage de cette méthode est que, si elle ne permet jamais de gagner, elle sait en revanche nous faire perdre lentement, le temps de négocier le poste suivant. Et puis qui sait, on n’est jamais à l’abri d’un coup de chance. L’autre avantage de cette méthode est qu’on n’a besoin de parler à personne, hormis quelques chefs de projets qui vont faire avancer les choses et le cost-killer qui va serrer les budgets, les autres feront ce qu’on leur dit.
Les effets réels de ce modèle mental sont connus de tous : les gains promis ne se matérialisent pas, les décisions à l’emporte-pièce déclenchent des guerres de chefs avec les autres services, les collaborateurs sont en vrille et disent non à tout, l’entreprise se trouve embourbée avec un système de plus dont personne ne veut et sa compétitivité recule. On connaît le film par cœur.
Le business model lean est radicalement différent. Il part du principe que chaque produit utile au client doit avoir une marge faible (sinon on séquestre trop de valeur vis-à-vis du client) mais constante, et qui permet de vivre et d’agrandir sa base de clients. Pour cela, la qualité de chaque produit, de chaque service doit être continuellement améliorée. Pour pouvoir générer une marge constante, la base de coût totale doit être la plus petite possible, et le manager lean obtient cela en, d’une part, formant chaque collaborateur à travailler plus précisément de manière à réaliser chaque tâche bien du premier coup et, d’autre part, en tirant les flux pour gérer au minimum les ressources nécessaires au travail. L’objectif est d’atteindre le bon du premier coup, en responsabilisant les équipes sur leur utilisation des ressources : si on ne fabrique que ce que le client demande, au lieu de fabriquer les stocks que des prévisions de ventes jugent pertinents, chaque minute de temps humain ou machine et chaque composant deviennent précieux et méritent toute notre attention.
C’est un business model gagnant-gagnant-gagnant car tout le monde s’y retrouve – les clients, les employés et les actionnaires. En revanche, c’est un business model qui demande l’engagement de tout le monde, tout le temps. L’engagement dans le souci du client plutôt que le respect des processus, dans le souci des collaborateurs plutôt que du respect de la hiérarchie, dans le souci des fournisseurs plutôt qu’en leur mettant le pied sur la gorge pour leur faire cracher tout ce qu’ils ont. C’est un modèle qui permet d’augmenter la compétitivité de l’entreprise au jour le jour en lui donnant énergie et flexibilité et en bénéficiant des idées, initiatives et collaboration de tous.
C’est à dire un business model qui requiert que chaque manager s’interroge au quotidien sur sa pratique du leadership et se demande comment toujours mieux créer les conditions de la collaboration, de l’engagement et de la réflexion de chaque personne dans l’entreprise.
Les principes et techniques du lean sont bien connus, les exemples de réussites sont nombreux, comme en témoigne le dernier ouvrage de notre sensei Cécile Roche, et pourtant la plupart des dirigeants continuent à faire comme si rien de cela n’existait et nous faire perdre match après match (tout en sauvant leur peau). La difficulté est, effectivement, que pour comprendre le vrai lean, il faut changer de modèle mental sur notre façon de faire du business.
Respirez profondément, prenez un pas de recul, et regardez par vous-même le type de résultats que vous cherchez : 1 x 100 %, en « océan bleu » ou en réduction de coûts, ou 100 x 1 % ?
Michael Ballé
Téléchargez l'édito en PDF
Cet article Arrêter de perdre lentement est apparu en premier sur Institut Lean France.
A lire aussi
-
Gemba ou bien Genchi Gembutsu ?
Publié le 25/10/2015
Existe-t-il une différence entre le terme « Gemba » employé dans les articles...
-
Pratiquer l’Andon “pour de vrai”: est-ce possible ?
Publié le 04/08/2017
Que se passerait-il si nous pratiquions l’Andon « pour de vrai »? L’usine ne...
-
Publié le 03/10/2022
La presse économique en parle depuis des mois : les robinets du financement des...
-
Quand une organisation a-t-elle pigé ?
Publié le 26/08/2015
Cher Gemba coach, J’ai formé des équipes au Lean, d’abord de manière...
-
Publié le 21/05/2016
Cher Gemba Coach, J’ai du mal à comprendre ce que les gens entendent exactement...
-
Les Sept Péchés capitaux du Gemba
Publié le 21/06/2016
Traduction libre par Alain Coupeté d’après un papier de Michael Ballé. Mai...
-
Même quand c’est dur, ne lâchons pas sur la sécurité ni la qualité, jamais
Publié le 03/10/2024
Que ce soit à la Banque Mondiale, l’OCDE ou le FMI, les perspectives de...
-
Résolution de problème : quelle différence entre le Lean et les autres méthodes ?
Publié le 03/09/2018
Cher Gemba Coach, Quelle est la différence entre la manière « Lean » et les...
-
Client un jour, client toujours
Publié le 01/06/2023
Rappelons qu’il faut toujours mettre les clients en premier. Michael Ballé...
-
Se servir de la pensée lean pour faire fonctionner le management traditionnel
Publié le 12/07/2018
L’expérience montre que l’approche lean permet de mieux faire marcher à peu...