Nos techniciens opposent une résistance farouche à l’idée de standards de travail. Que faire ?
Avez-vous seulement envisagé qu’ils pourraient avoir raison ? J’ai été confronté récemment à une situation similaire dans un centre de rénovation d’équipements de transport. Des opérateurs hautement qualifiés et expérimentés s’opposaient à chaque tentative du management d’imposer une manière « standard » de travailler.
Quand le management a finalement demandé « pourquoi ? », ils ont réalisé que derrière le « chacun de nous a sa propre manière de travailler » se cachait la raison plus complexe « nous n’avons confiance dans aucune autre manière de travailler ». Lorsque les tâches sont complexes, les gens qui les réalisent s’appuient sur leur expérience pour se sentir en confiance et sont – légitimement – rétifs à considérer d’autres manières.
Ce n’est pas qu’ils considèrent que les autres manières soient mauvaises, mais simplement qu’ils ne savent pas. Ils ont confiance dans leur méthode, et il y a trop d’inconnues à essayer une quelconque méthode alternative.
Finalement, le management de terrain s’est focalisé sur une opération et deux équipes de deux opérateurs. Smartphone à la main, un opérateur filmait plusieurs fois de suite son collègue en train de travailler, puis ils inversaient. La question n’était PAS « pouvons-nous harmoniser nos façons de travailler ? » La question était : « pourquoi une même personne ne fait-elle pas le même travail deux fois de la même manière? »
Une imposition
Étonnamment, ils réalisèrent en entrant dans les détails que de nombreux facteurs environnementaux étaient variables, et que chaque matériel en rénovation avait ses spécificités. Par exemple, des machines de générations différentes n’avaient pas été assemblées de la même manière, et du coup la séquence des tâches était différente, etc…
Au bout d’un moment, les opérateurs en sont venus à considérer que dans une certaine mesure, ils faisaient le même travail de la même manière (pas tout le monde pareil, mais chacun avec son propre standard). Il en est ressorti en pratique que parmi les quatre personnes, il y avait clairement deux manières différentes de faire le même travail.
Ensuite, toujours sans aucune intention d’harmoniser, on leur a demandé d’indiquer les différents gaspillages occasionnés par leur manière de travailler, comme par exemple partir a la recherche d’outils, des gestes difficiles, des retouches, etc… Cette discussion s’est naturellement orientée sur la comparaison des différentes approches, pour finalement converger sur un consensus.
Le superviseur essaya ensuite d’imposer cette manière « standard » de travailler aux autres membres de son équipe (20 personnes)… qui la rejetèrent !
Le vrai but des standards
Voilà qui nous amène au cœur du sujet : oui, le but du Lean est pour le superviseur de donner huit heures de travail standardisé à chaque équipier. S’il n’y arrive pas, il y a peu de chances qu’apparaisse un Kaizen pertinent. MAIS le travail standard ne peut pas être imposé – il s’agit d’apprendre les détails des opérations, pas de décider.
D’une manière générale, le management est toujours tenté de rendre prévisible l’imprévisible. Les managers adorent l’idée des standards car ils ont l’impression qu’ils peuvent éliminer la variation d’un individu à l’autre et réduire les risques d’erreur. Cela peut être vrai, mais ce n’est pas le but des standards.
Le but d’un standard est que chaque équipier se sente plus confiant dans :
(1) l’utilité de son travail du point de vue du client,
(2) la séquence des tâches pour réaliser le travail efficacement,
(3) les critères précis pour distinguer le bon travail du mauvais,
(4) les conditions de travail nécessaires pour faire du bon travail,
(5) sa capacité à trouver des idées de Kaizen et faire des suggestions.
En d’autres termes, le but principal des standards de travail est de bien mieux comprendre le travail. Il y a par conséquent deux situations:
1- Un standard existe – et il paraît logique de demander aux gens de commencer par suivre le standard avant d’essayer une autre manière de faire, ce qui signifie (1) savoir que le standard existe, (2) comprendre le standard, (3) maîtriser le standard, et (4) savoir démontrer comment et quand il n’est pas applicable dans une situation particulière.
2- Il n’y a pas de standard – et dans ce cas, vous ne couperez pas à une longue exploration du détail du travail tel qu’il est réellement réalisé, ce qui signifie que (1) chacun commencera par standardiser sa propre manière de travailler, (2) quelques gaspillages évidents pourront être identifiés, et (3) les gens pourront comparer leurs manières de faire à l’aune de ces gaspillages
Les standards n’atteignent leur but d’éviter des erreurs et de travailler efficacement que si les gens se les approprient – y croient, les maîtrisent – bref leur font confiance. Cela signifie que soit chacun dans la zone travaille avec un standard existant, et tout nouvel arrivant va naturellement adopter cette manière de travailler, à condition qu’on lui explique pourquoi et quelle est la raison sous-jacente, soit ils vont faire confiance au standard qu’ils ont eux-mêmes contribué à bâtir s’il n’en existait aucun au départ.
Dans toute autre circonstance, le management peut imposer tous les standards qu’il lui plaira, mais si les opérateurs ne leur font pas confiance, ils ne les appliqueront tout simplement pas. Fin de l’histoire.
Re-standardiser
Effectivement, nous sommes souvent impatients d’atteindre l’état idéal de huit heures de travail standardisé pour chacun, mais mieux vaut toujours prendre le temps d’aller vite. Tant que les opérateurs eux-mêmes ne seront pas à l’aise avec la notion de standards, leur capacité de résistance sera toujours plus forte que celle du management à imposer des procédures.
Comme l’expliquent les managers de Toyota dans cette excellente interview dans Planet Lean: l’un de nos top managers chez Toyota au Japon, Nimi-san, nous a expliqué que « c’est le boulot des managers de production d’établir les standards, celui de l’atelier est de les démolir ». Les gens trouvent toujours de meilleures manières de faire. L’important dans tout cela est ensuite de re-standardiser, re-former tout le monde, et de s’assurer ensuite que le standard est appliqué correctement, jusqu’à ce qu’on découvre une nouvelle amélioration. Il ne s’agit pas d’une activité explicite, et l’entreprise attend de nous que nous le fassions chaque jour, que nous améliorions tous nos processus tous les jours. C’est la signification de l’amélioration continue.
Les standards sont des outils pour que chacun puisse analyser son propre travail, pas seulement pour éviter de commettre des erreurs, mais également pour voir quelle est la part du standard qu’il maîtrise et quels aspects nécessitent un peu plus de travail. Cela ne peut jamais être imposé, mais seulement fait en collaboration, une personne à la fois.
Retrouvez la version originale ici. Version française traduite de l’américain par François Lopez, téléchargez-la en version PDF ici.
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