Revenant sur la sortie récente du livre de Nomura-San sur l’amélioration radicale de la qualité, Michael Ballé nous encourage à adopter l’esprit du « Dantotsu » pour relever les défis auxquels nous sommes confrontés en tant que société.
Au fil des années, mes amis travaillant dans l’usine sud-africaine de Toyota et celle de chariots élévateurs de TIE en France, m’ont raconté de nombreuses histoires sur Mr. Nomura, leur sensei. La lecture de son livre est un vrai délice – quoique quand même un peu nostalgique.
Je me souviens de l’époque où nous faisions tout cela dans les usines automobiles d’Europe au tournant du siècle, avec mon père Freddy. Et puis, quelque temps après la crise Lehman Brothers – à peu près au moment où Mr. Nomura a lancé son initiative Dantotsu au sein des opérations de Toyota Forklift – nous avions quelque peu arrêté.
Nous n’avons pas arrêté le Lean, bien-sûr. Les entreprises qui découvraient la pensée Lean, que ce soit dans le secteur de la construction, de la rénovation automobile, des hôpitaux ou des start-ups du numérique, ont toutes connu des succès spectaculaires en appliquant les mêmes principes fondamentaux : donner la priorité aux clients, réduire les délais et réagir immédiatement aux problèmes qualité afin de former les gens à mieux faire leur travail. Le Lean dans ces entreprises a perduré : progressivement, nous avons eu l’attention des PDG et avons pu explorer ce que le Lean signifiait en tant que stratégie d’entreprise à part entière, ainsi que des pionniers comme mon père ou Art Byrne l’avaient expérimentée.
Ce que nous avons arrêté de faire, c’est le travail rigoureux et détaillé de collecte de données sur la qualité et les délais, la formation au travail standardisé, etc. Pendant de nombreuses années, la règle du jeu dans les usines automobiles consistait à suivre les plaintes, puis les défauts constatés lors de l’inspection finale, puis en bout de chaîne, puis au poste de travail – en déplaçant progressivement la courbe vers l’auto-inspection, réduisant ainsi le délai entre l’apparition et la détection des défauts. Nous avons ouvert les machines pour trouver des moyens d’auto-inspecter le processus. Nous avons mené des analyses techniques rigoureuses et détaillées sur l’origine des défauts. Nous avons utilisé systématiquement des tableaux d’analyse de la production pour engager les opérateurs dans une étude rigoureuse de la production manquante. Avant de commencer la production, tous les aspects 4M (Main d’œuvre, Machines, Matériaux, Méthodes) d’une ligne étaient vérifiés par les chefs d’équipe et les conditions étaient corrigées par les superviseurs chaque fois que quelque chose n’allait pas.
Le même travail détaillé a été mené sur les flux, avec de laborieuses analyses des flux de matériaux et d’information (oubliez les VSM – rien de tel que les MIFA) et le suivi des cartes kanban une par une (avant que l’utilisation des codes-barres ne soit généralisée) pour comprendre exactement ce qui se passe dans le flux et où se situaient les reflux.
Et les résultats étaient tels qu’ils sont décrits dans le livre de Nomura – réguliers, mais inégaux. Avec des avancées et des régressions (nouveau modèle, travailleurs d’été, changement du responsable local). Et, ce qui est moins abordé dans le livre, derrière chaque amélioration des résultats, des histoires humaines d’heures de discussion, d’enquête, parfois de disputes (« nous avons tellement progressé, pourquoi voulez-vous qu’on recommence ? »)
Je ne peux m’empêcher de me demander – nous savions que nous devions le faire (en fait, dans mon cas, j’ai eu le privilège d’apprendre cela de l’inventeur même), alors pourquoi on ne le fait plus ?
Peut-être que c’est juste moi. Me serais-je ramolli ? À un moment donné, j’en ai eu assez des discussions, des pressions, des cajoleries (parfois des menaces) pour que des responsables réticents cessent de jouer le système contre le système et fassent réellement le travail : inspecter toutes les pièces, dans leurs conditions réelles, dans l'atelier, avec les opérateurs. Ou, plus généralement, pour qu'ils s'en préoccupent réellement.
Il semblerait également que le mouvement Lean dans son intégralité ait perdu de son dynamisme en s’orientant vers le coaching (dans quel but ?) ou les processus administratifs (dans quel but ?) et en minimisant progressivement l’importance de la recherche des muda et de la manière de les éradiquer. Parmi les initiatives Lean que je rencontre en ce moment, seul un petit nombre s’attachent sérieusement à réduire les délais d’exécution en mettant en place un système de flux tiré, ou à réduire radicalement les défauts et à améliorer le bon du premier coup.
Ce qui me trouble le plus, c’est qu’alors que la crise financière de 2008/2009 aurait dû constituer un tournant dans notre compréhension de l’impact catastrophique de la gestion financière sur les entreprises industrielles, il semble que ce soit le contraire qui se soit produit. La gestion financière est désormais la norme solidement établie. La valeur est récoltée sur le marché boursier (ou à la revente des entreprises non cotées) et créée par la gestion des attentes plutôt que par l’amélioration des performances. Tout tourne autour de l'histoire que les analystes veulent entendre, de la façon dont le marché va prendre telle ou telle mesure, et jamais autour de la concurrence et de la manière de garder un temps d’avance.
Nos vrais problèmes, cependant, ne font que commencer. Vous pouvez nier la gravitation autant que vous le voulez, mais la gravitation s’en moque – elle est toujours présente. Les problèmes mondiaux tels que le changement climatique et les pandémies continueront de perturber les chaînes d’approvisionnement et nécessiteront des solutions technologiques profondément renouvelées si nous voulons conserver notre mode de vie.
Le Dantotsu est la voie à suivre – non seulement pour obtenir des résultats, mais aussi pour en apprendre plus en profondeur sur la réalité de nos processus de livraison et de production. Le Dantotsu est absolument nécessaire pour former la prochaine génération d’ingénieurs qui connaîtront les processus réels et ne se contenteront pas de déplacer des leviers numériques sur une tablette tactile. Le Dantotsu, c’est se salir les mains, c’est recueillir les données et apprendre à parler leur langage – reconnaître ce que dit un point singulier par rapport à un autre.
« Seigneur, nous savons ce que nous sommes, mais pas ce que nous pourrions être », dit Ophelia, désemparée, dans Hamlet. Nous ne saurons jamais exactement ce que Shakespeare avait en tête lorsqu’il écrivit cette phrase, mais pour moi, elle touche une corde très profonde. Nous savons aussi ce que nous étions. J’ai été profondément touché par le livre de Sadao Nomura sur le Dantotsu parce qu’il parle si directement de ce que nous sommes, par opposition à ce que nous étions, et de ce que nous pourrions être si seulement nous avions la volonté et le courage de nous approprier nos propres processus de pensée et de perfectionner nos méthodes.
Ne passez pas à côté de ce livre. Prenez-le étape par étape et lisez-le vraiment. Comparez votre pratique actuelle avec ce qu’il suggère. Demandez-vous ce que vous pourriez faire de mieux si vous essayiez. Nous avons la chance incroyable de pouvoir lire les briefings qu’il publie et de partager sa réflexion. Quel que soit le pétrin dans lequel votre entreprise se trouve actuellement, il existe un plan pour en sortir. C’est la voie de l’amélioration radicale de la qualité que propose le Dantotsu.
Le nouveau livre de Nomura-san est disponible. Découvrez la révolution spectaculaire de la qualité qu’il a menée dans les sites de manutention de Toyota et apprenez la méthode Dantotsu dans tous ses détails.
Michael Ballé, auteur Lean, coach de dirigeants et co-fondateur de l’Institut Lean France
Article original paru dans Planet-Lean.com traduit par Marc-Antoine Guichard, Nicolas Villemain et François Lopez
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