Il y a près de quinze ans, Toyota expliquait à l’un de ses fournisseurs français que son enjeu principal était le
management des risques d’interruption du business. Donc :
- attention au cash
- pas de grèves
- pas de consolidations ou de restructurations
- pas de changements brutaux dans la supply chain.
En résumé, le manager français se trouve privé de son manuel. Je ne sais pas comment le management à la française est devenu l’art d’interrompre le business pour mettre en œuvre ses fausses bonnes idées. Avons-nous toujours été comme ça ? Où est-ce d’avoir oublié ce qu’est un fonds de commerce et remplacé les managers de terrain par des chefs de projets parachutés du siège ? (oui, vous, vous vous reconnaissez !)
Les recommandations de Toyota à l’époque n’étaient pas limpides non plus :
- partager les mauvaises nouvelles d’abord
- prévenir tout de suite et mettre en place des stocks de sécurité
- manager les personnes
Toyota concluait par : «
Les fournisseurs français doivent l’entendre s’ils ont l’intention d’être compétitifs dans un panel européen ou global. La France est un pays où l’on doit porter au management du risque une attention particulière… »
Des années plus tard, et nous y voici. Nos grands managers ont exporté notre industrie plutôt que de s’en occuper. Nos grands politiciens ont mis les gens dans la rue – et toujours sans la moindre remise en question.
Les temps du management par décret sont révolus, faisons face. Réapprenons à faire marcher les choses. Arrêtons d’aller chercher une énième solution miracle (le 4.0 ? Quelqu’un ? Le big data ?) et allons sur le terrain, parlons aux gens qui font le boulot, intéressons-nous et découvrons comment on peut les aider – pas en imposant plus de travail, d’audits, de bâtonnages, de contrôles, de travailler avec un consultant – mais en les
aidant.
Faire marcher les choses signifie s’en occuper. Tous les jours. Plusieurs fois par jour. Cela signifie s’intéresser aux détails, observer et discuter avec les gens jusqu’à ce que le problème soit clair. Puis leur demander ce qu’ils comptent faire. Et les soulager de tout ce qui peut leur mettre des bâtons dans les roues.
Cela signifie également d’être curieux de savoir comment fonctionne un système complexe – de comprendre que le fort couplage (tout touche tout et réciproquement) et que des mauvais interfaces (qui doit parler à qui est flou) font que le moindre grain de sable peut bloquer toute la machine.
La non performance n’est pas une fatalité. Les entreprises qui voient le lean comme une stratégie le prouvent tous les jours. Et d’essayer vainement de compenser ses échecs par des coups de com n’est pas une nécessité. S’occuper des choses n’est pas si difficile : on peut commencer par aller sur le terrain tous les jours, regarder où en sont les choses par rapport au
takt time prévu, regarder le
lead-time avec les équipes, discuter des écarts des
lead-time et les suivre sur place pour observer les causes, leur demander leur avis, leur demander où elles commenceraient pour améliorer les choses et réfléchir à comment supporter leur action. Cela ne demande rien de plus qu’un brin de courage et de curiosité.
Ah, oui, cela demande surtout de commencer par s’intéresser à ce qui ne va pas et non pas sans arrêt ne mettre en avant que les bonnes nouvelles. Ceci, il est vrai, nécessite de faire suffisamment confiance à ses points forts pour aborder ses points faibles sans se noyer ni dans le complexe d’imposture ni dans le complexe de toute puissance qu’exhibent à longueur de journée les cadres qui nous dirigent.
Bref, ça demande simplement de revenir à faire son métier du mieux possible, sincèrement, et avec les autres, en branchant le cerveau plutôt que l’ego, en commençant par comprendre le problème et l’écart à l’idéal, plutôt que « j’ai besoin », « il me faut », « tu peux me faire » et « je sais que tu sais faire des miracles sous pression. »
Le lean est avant tout une stratégie de la continuité du business, ce qui implique de se pencher sur les bourgeons des problèmes pour repérer les risques d’interruption avant qu’il n’aient pleinement éclos et travailler avec les équipes pour les prévenir. Performer est toujours à portée de main, mais il faut commencer par le vouloir.
Michael Ballé
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