Avez-vous seulement essayé de le voir comme un outil pour les opérateurs?
Les avantages de l’Andon sont assez aisés à comprendre du point de vue du système qualité. L’Andon réalise pour nous un certain nombre de choses :
- Il renvoie le contrôle qualité dans la ligne, avec un point de contrôle à chaque poste plutôt que de devoir attendre l’inspection du travail terminé au bout de la ligne
- Il intègre la formation dans le travail quotidien quand les « team leaders » répondent aux appels de l’Andon, vérifient que les standards sont bien maîtrisés, et enseignent aux opérateurs comment mieux appliquer le travail standardisé.
- Il augmente la réactivité car les managers de terrain doivent réagir en temps réel aux arrêts de ligne plutôt que de continuer à faire tourner la ligne et de résoudre les problèmes en différé.
Mais alors pourquoi tant de gens ont-ils des difficultés avec le système Andon? Une interprétation commune est que les managers de terrain n’ont pas envie de se placer sous la pression d’avoir des résultats dans l’heure. C’est une hypothèse, mais ma crainte est que le problème soit bien plus profond.
2 effets
L’Andon est réellement un outil pour les opérateurs eux-mêmes, comme le sont la plupart des outils du Lean.
Par exemple, quand vous apprenez à conduire, votre moniteur vous explique que la principale source de danger est la vitesse – vous manœuvrez un objet de 2 tonnes à travers l’espace et le temps. Donc en cas de doute, ralentissez. Pour ralentir, vous avez une pédale de frein : utilisez-la. La plupart des accidents se produisent parce-que nous n’avons pas assez ralenti:
- conduite dangereuse — trop près de la voiture précédente, trop vite, sans réaliser que dans des conditions de vitesse/pluie/pénombre, le temps de réaction pour voir/freiner/stopper est bien plus long que ce que l’on imagine instinctivement
- la survenue d’un événement inattendu – une autre voiture ou moto que vous n’avez pas vu venir, un objet sur la route, un virage trop serré, etc… et encore une fois, votre temps de réaction s’allonge
- une distraction – qu’il s’agisse du téléphone (quoi que vous ressentiez, votre cerveau ne peut vraiment pas parler et regarder en simultané), ou pire envoyer des textos, ou tout simplement l’assoupissement.
Dans chacun de ces cas, toujours la même réponse : ralentissez.
Si on considère l’Andon du point de vue de l’opérateur, il agit comme une pédale de frein pour ralentir le travail quand quelque chose va de travers. Comme une pédale de frein, il a deux effets :
- Appeler le team leader quand quelque chose semble bizarre – l’équivalent de ralentir
- Arrêter la ligne si le problème ne peut être résolu dans la minute – arrêter la voiture.
Qu’est-ce que cela leur apporte?
L’Andon est réellement un système pour donner aux opérateurs un meilleur contrôle sur la ligne elle-même. Mais pour l’utiliser de manière routinière, nous devons comprendre qu’ils sont confrontés à un certain nombre de problèmes épineux, comme par exemple (1) qu’est-ce qui me dit que je devrais tirer l’Andon ? (2) Quelles actions cela déclenche-t-il réellement ? (3) Qu’est-ce-que cela m’apporte ?
Savoir quand déclencher l’Andon à bon escient, qu’il s’agisse de tirer une corde ou de pousser un bouton, est un problème très complexe. Peu d’entreprises ont une compréhension suffisamment fine de leur production pour pouvoir indiquer à leurs opérateurs à quoi prendre garde, donc il s’agit au départ d’un processus de découverte. Comme quand vous conduisez une voiture, il est parfois difficile de savoir que vous avez basculé dans des conditions dangereuses. Y a-t-il de la bruine ? La circulation est-elle plus dense, de sorte que certaines voitures ralentissent alors que d’autres essaient de se faufiler ? Êtes-vous moins attentif ? Ce virage est-il plus serré qu’il n’en a l’air ? Et ainsi de suite.
C’est pourquoi il y a des panneaux, mais ils deviennent si habituels que plus personne n’y prête suffisamment attention, et même ceux qui le font ont du mal à les interpréter correctement.
Si le management ne travaille pas quotidiennement avec les opérateurs pour montrer son intérêt à comprendre ce qui est OK de ce qui est KO dans le process, ils ne sauront pas exactement quand actionner l’Andon, et feront probablement ce que nous faisons en voiture : continuer à conduire malgré le sentiment confus qu’il faudrait ralentir et être attentifs.
Deuxièmement, que déclenche l’activation de l’Andon? Quand nous appuyons sur le frein, nous nous attendons à ce que la voiture ralentisse. Avec l’Andon, c’est plus ambigu. Quand je tire l’Andon, je m’attends à voir apparaître le team leader au bout de quelques secondes. Il y a deux problèmes avec cela : (1) est-ce que cela arrive effectivement ? (2) est-ce bien ? Il faut bien vous organiser pour que les team leaders répondent rapidement aux signaux Andon, ce qui signifie laisser tomber ce qu’ils ont en cours et se précipiter vers celui qui appelle – pas simple. Deuxièmement, vous devez vous assurer que l’opérateur voit dans le team leader venant vers lui un visage amical, et pas un ronchon qui lui demande « avec quoi viens-tu encore m’enquiquiner maintenant ? ».
Les opérateurs doivent être convaincus qu’en tirant la corde, ils peuvent (1) avoir un impact sur la ligne, et (2) que cet impact est positif pour eux. Si ce n’est pas le cas, ils ignoreront logiquement le dispositif et croiseront les doigts pour que les problèmes tombent sur le voisin.
Il est clair que nous n’acceptons de faire les choses qu’une fois que nous avons bien compris ce que cela peut nous apporter. Posez-vous donc clairement la question : qu’est-ce que cela apporte aux opérateurs ?
- Ils peuvent travailler mieux et contribuer au succès de l’entreprise : quand tout va bien, c’est un facteur important de motivation car les opérateurs contrôlent mieux ce qui se passe sur leur ligne et développent une meilleure maîtrise des tâches qui leur sont dévolues. C’est tout bon. En théorie, l’Andon doit donc améliorer l’autonomie, la maîtrise et la motivation
- Ils peuvent bâtir une meilleure relation de travail avec leur team leader et le superviseur en collaborant aux problèmes et en étudiant plus en détail le travail standardisé, ce qui leur permet également d’en apprendre plus sur leur propre rôle dans le processus
- Ils peuvent constater qu’ils travaillent mieux avec les autres opérateurs de la ligne, et ne pas se sentir pris en défaut lorsqu’une personne plus loin dans le processus détecte un défaut qu’ils auraient dû voir et signaler. La pression positive des pairs, même si elle reste de la pression, a une influence importante.
Mais prenez garde : tous ces éléments de motivation peuvent facilement avoir l’effet inverse s’ils sont mal utilisés. Les gens peuvent avoir le sentiment que l’Andon les met en danger si le team leader ou le superviseur réagissent de manière inadéquate.
Pour que l’Andon puisse fonctionner correctement, les opérateurs doivent l’expérimenter, et découvrir par eux-mêmes qu’effectivement, cet outil les aide à mieux travailler et interagir avec leurs collègues. Si leur expérience personnelle n’est pas concluante, l’Andon ne s’implantera pas. La question est finalement : quels efforts managériaux déployez-vous pour vous assurer que les opérateurs aient un ressenti positif sur le déploiement de l’Andon ?
Construire la qualité à l’intérieur du produit est l’un des principes les plus importants du Lean – et l’Andon en est l’un des principaux piliers. En vérité, comment pouvons-nous espérer tenir le Takt Time si nous ne nous arrêtons pas à chaque défaut et n’essayons pas de le résoudre aussi vite que possible ? Mais en effet, c’est très difficile à mettre en œuvre car la plupart des industriels sont dans le syndrome « continuez à produire coûte que coûte ». C’est justement parce-que c’est très difficile que l’Andon doit être mis en place avec les opérateurs, pas pour eux.
Une chronique Gemba Coach de Michael Ballé, traduite de l’américain par François Lopez.
Téléchargez-la en version PDF ici.
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